Les réseaux électriques :
plus compliqués qu’ils en ont l’air

La complexité des systèmes technologiques que nous utilisons chaque jour est sans cesse croissante. Il suffit de penser à l’évolution des véhicules automobiles au cours des vingt dernières années pour saisir à quel point l’introduction de systèmes numériques a ouvert la voie à des applications permettant la gestion en temps réel du freinage, du moteur, de la transmission et de la navigation, pour n’en nommer que quelques-uns.

Le même phénomène s’est produit avec les réseaux électriques. Comme pour l’industrie automobile, la transformation des technologies appliquées aux réseaux électriques s’est opérée pour répondre aux impératifs de rendement et de performance qu’imposent inlassablement les lois du marché. Dans le cas des réseaux électriques, l’augmentation des capacités de transit, la déréglementation, l’intégration de nouvelles filières énergétiques, l’accroissement de la fiabilité et le maintien de la qualité de l’onde ont amené l’introduction de nouvelles technologies, de nouveaux processus et une modification significative des organisations.

Description d’un réseau
Le réseau électrique est constitué des éléments permettant la production, le transport et la distribution de l’énergie. Dès le début du siècle dernier, pour répondre à la demande croissante d’énergie électrique, plusieurs centrales de génération ont été mises en commun pour alimenter la clientèle résidentielle, commerciale et industrielle. Une des particularités des réseaux de l’époque était la proximité entre les centrales et les charges. Avec le temps, les réseaux se sont interconnectés davantage et étendus géographiquement. Dans le cas du Québec, les distances entre les sources d’énergie électrique, en majorité hydrauliques et les charges, ont augmentées considérablement. Le réseau d’Hydro Québec TransÉnergie compte aujourd’hui plus de 32 000 km de lignes et les plus longues ont près de 1 200 km. 

Pour augmenter la puissance transmise, réduire le nombre de lignes et réduire les pertes, les ingénieurs ont donc adopté des niveaux de tension sans cesse croissants. Le réseau de transport comprend au Québec des tensions allant de 69 kV à 765 kV (incluant +/- 450 kV C.C.) en passant par 120, 161, 230, 315 et 735 kV. Cette diversité des tensions utilisées reflète l’histoire des compagnies d’électricité et de l’évolution des technologies.  Le choix des niveaux de tension est encore aujourd’hui dicté  par la puissance à transiter, la distance à parcourir, les pertes, la stabilité du réseau, la densité des charges à raccorder et principalement les coûts des infrastructures de transport d’électricité.

Paramètres opérationnels des réseaux de transport
Les réseaux de transport constituent le lien entre les centres de production et ceux de consommation. Les centres de production peuvent être des centrales hydrauliques, thermiques, nucléaires ou des parcs éoliens. À une plus petite échelle, d’autres sources de production décentralisées peuvent se raccorder au réseau de distribution (panneaux solaires, éoliennes, micro turbines, génératrices, piles à combustibles,..). Pour répondre aux besoins, il faut cependant s’assurer en tout temps que la puissance totale requise soit disponible mais aussi planifier, en fonction de l’historique de consommation, que l’énergie (puissance x temps) soit en réserve.

La complexité de cet exercice provient de la variation constante de cette demande. Cette variation est cyclique et est influencée par les saisons, l’heure de la journée, la température, l’ensoleillement, le vent, l’humidité, le niveau d’activité économique et la tarification. Les profils de la demande du réseau d’Hydro Québec sont cependant relativement similaires d’une année à l’autre. L’écart entre la demande estivale et celle d’hiver peut atteindre 15000 MW et la pointe se situer en hiver à 35000 MW. On observe généralement une diminution de 1500 MW la fin de semaine et les écarts journaliers, qui sont différents en été et en hiver peuvent atteindre 5000 MW en moins de quatre heures. Il faut de plus tenir compte d’évènements comme les pertes de charges importantes ou de lignes qui peuvent affecter la stabilité du réseau.

Le réseau de transport doit aussi disposer d’une certaine flexibilité puisque les sources d’énergie appelées à répondre à cette demande ont des profils de production différents. Il y des centrales de base qui sont maintenues en opération de façon quasi permanente comme les centrales nucléaires et des centrales qui produisent en fonction de la demande. Hydro Québec procède à des arrêts-démarrages de groupes turbines alternateurs et le choix de ces groupes est dicté entre autres par la puissance requise, l’optimisation du rendement des groupes, la réserve utile et les apports d’eau d’une centrale en particulier. Le coût plus élevé du gaz naturel peut aussi entraîner l’arrêt de la production dans le cas par exemple de centrales thermiques et le prix élevé de l’électricité sur les marchés peut justifier le démarrage de groupes hydrauliques pour l’exportation. L’intégration de parcs éoliens, avec la variabilité des apports d’énergie qui les caractérisent, ajoute un niveau de complexité supplémentaire dans la gestion de l’offre et de la demande. Elle nécessite le développement de nouveaux outils prévisionnels et de nouvelles stratégies de gestion des groupes de production.

Il faut aussi tenir compte du fait que les charges ne sont pas toutes du même type. Les charges se caractérisent par l’appel en puissance active, réactive et apparente. La puissance active fait un travail (Watt) et la puissance réactive (VAR) produit un champ magnétique alternatif. La puissance apparente (VA) est la puissance totale absorbée par une charge. Lorsqu’on alimente une charge résistive tel un élément chauffant, la puissance totale absorbée est une puissance active uniquement. Pour une charge inductive comme un moteur, la puissance totale absorbée comporte un élément de puissance active et un élément de puissance réactive.

La fréquence (Hertz), de même que la tension (Volt) de l’onde sont révélatrices de l’état de stabilité d’un réseau. Si la demande et la production sont en déséquilibre, la fréquence du réseau variera. Si la demande est supérieure à la production, la fréquence diminuera. Il peut aussi survenir de petites  variations, lorsque par exemple des charges ou des groupes turbines alternateurs sont ajoutés ou retirés, cependant des écarts trop grands peuvent entraîner des délestages automatiques de charges ou l’affaissement d’un réseau. La gestion de profils de tension sur le réseau est aussi complexe et est très critique pour ce qui est de la stabilité. Les changements inhérents aux conditions d’opération du réseau entraînent des variations constantes de la tension. Si par exemple le réseau ne comporte pas assez de sources locales de puissance réactive la tension sera affectée. Une tension trop basse peut endommager des équipements et aussi provoquer l’instabilité du réseau et une tension trop élevée peut dépasser le niveau d’isolation et créer des arcs.

Études de réseau
Pour assurer que le réseau de transmission rencontre les critères de fiabilité établis, des études et des règles strictes de gestion doivent être mises en applications. La complexité des réseaux actuels a amené le développement d’outils informatiques spécialisés pour modéliser et calculer, à partir de l’historique de la demande, les conditions d’opérations optimales et les limites d’exploitations en fonction des topologies applicables. On demande aux gestionnaires de réseau de prévoir aussi la perte d’éléments stratégiques comme une ligne ou un transformateur principal et de ramener le réseau à un état où il pourra supporter à nouveau le pire impondérable. Il faut de plus maintenir une réserve tournante (groupes turbines alternateurs synchronisés) prédéterminée qui pourra prendre le relais dans l’éventualité d’une défaillance. Les calculs effectués vont de l’analyse des écoulements de puissance aux analyses de stabilité en régimes permanents et transitoires pour n’en nommer que quelques-uns. Les systèmes de protection, pour réagir aux surcharges ou détecter et corriger des conditions anormales, impliquent aujourd’hui l’utilisation d’équipement numériques et de logiciels complexes. L’information sur l’état des composantes stratégiques du réseau et les commandes de manœuvres doivent être transmises par l’entremise d’un réseau de communication sécurisé aussi sophistiqué que fiable. Dans un contexte de vieillissement des infrastructures il est de plus impératif de maintenir les éléments constituant le réseau tels les disjoncteurs, sectionneurs, transformateurs, lignes de transport, alternateurs, logiciels et systèmes de communications dans un état de fonctionnement sécuritaire et fiable. La formation du personnel, le maintien des compétences et l’innovation dans un domaine en pleine évolution sont tout aussi essentiels.

Grâce notamment à l’introduction de technologies numériques, les prochaines décennies vont permettre la mise en service d’équipements électriques plus efficaces et l’adoption de nouvelles technologies de gestion de charges, de mesurage intelligent et d’outils de calculs en temps réel de l’état d’un réseau. Un réseau intelligent donc adaptatif, qui opèrera avec un niveau d’autonomie décisionnelle de plus en plus grand, prendra forme.  Nous devrions aussi assister à l’émergence d’applications de la supraconductivité et  de micro-réseaux reliés aux réseaux principaux dans lesquels plusieurs alternatives de production d’énergie (éolien, micro-turbine, photovoltaïque, géothermique, pile à combustibles,..) seront mises à contribution pour répondre de façon plus efficace aux besoins énergétiques résidentiels, commerciaux et industriels. 

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Article paru dans le magazine CHOC de février 2007, page 36
Initialement rédigé par le comité Axe stratégique de l’AIEQ, puis mis à jour par François Toussaint, analyste à l’AIEQ en 2012. 

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